13 novembre 2006

Willie Kent




La semaine passée, lors du dernier Blues Festival de Lucerne, j’ai rencontré Jean Quegnec qui était l’un des meilleurs amis français du regretté Willie Kent. Nous avons parlé de Willie, de sa musique, de ses derniers instants. Jean à maintes reprises fit le déplacement à Chicago, il était à ses côtés en tournée lorsque ce dernier avait des engagements en France. Plusieurs articles parus dans le magazine Soul Bag témoignent de ses divers périples.

Ma dernière rencontre avec le bassiste chanteur, remonte à Juin 2005 dans le magasin de Bob Koester, pour le brunch du label Delmark qui est organisé traditionnellement le dernier jour du Chicago Blues Festival. Willie Kent avait tenu à être présent malgré des traces de fatigue évidentes. L’ovation qu’il remporta ce matin là, la chaleur des applaudissements à tout rompre du public, procura à beaucoup d’entres nous beaucoup de joie mais aussi une peine difficilement contenue.

Au cours des dernières décennies, il avait maintes fois traversé l’atlantique pour divers engagements et au fil de ces années, il avait su nouer de solides amitiés avec beaucoup de personnes de l’hexagone. Nous sommes en Juin 98, je suis à Chicago, il est 10 heures du matin, le téléphone sonne dans la maison, c’est mon amie Aikku qui me déclare d’une voix toute guillerette : « prépare toi, Willie passe te prendre à midi pile, nous passons la journée ensemble ! » elle raccroche aussitôt. En 1991, c’est grâce à son entremise que je fis la connaissance du regretté Roosevelt Booba Barnes et de son frère qui avait repris le club de son aîné à Greenville dans le Mississippi, mais aussi celle de Willie Kent lors d’une soirée mémorable.

Il est midi pile, je suis sur le perron de la maison, un van métallisé couleur bordeaux arrive à ma hauteur, c’est Willie : « Monte ! Nous passons prendre Aikku ! » Son véhicule est spacieux et dès plus confortable, mais il faut bien le dire, il y règne à l’arrière tout un tas d’affaires et de cartons. Certains sont remplis de compacts, d’autres de papiers dès plus divers. Les vides poches sont également pleins de chaque côté des portières. Willie me regarde du coin de l’œil : « si cela te convient nous allons au restaurant, ça marche ? » Nous discutons de son prochain passage en France, de ses débuts discographiques, de tout et de rien. Je suis bien, je me laisse guider par mon conducteur, notre conversation est dès plus conviviale, nous papotons…. Il continue : « tu trouveras dans les cartons mes 2 derniers compacts produit par Gino Battaglia, le patron du club le Blue Chicago. « Vas y ouvre une boîte… » Je m’exécute. « Gino va produire sûrement mon prochain compact, tu peux les prendre si tu veux, cela me fait plaisir » Je le remercie vivement et tente de remettre en place tant bien que mal les boîtes qui s’entremêlent au moindre virage.

Nous sommes maintenant tous les trois attablés au restaurant, c’est Willie qui a choisi l’établissement. Une fois les divers plats commandés, la discussion s’oriente sur l’enfance de Willie. « Je suis marqué à jamais par ma jeunesse à Shelby ( Mississippi ), vous ne pouvez pas vous rendre compte à quel point c’était dur… » Un long silence s’installe, il est au bord des larmes, il continue doucement pesant chaque mot comme si cela lui était pénible de remonter tous ces souvenirs à la surface un par un. « Ramasser le coton c’était terrible, éreintant, à la fin d’une journée tu étais exténué. Nous avions faim, on crevait de faim dans le Mississippi, c’est la raison pour laquelle je suis venu à Chicago » « Dans le sud on m’a enfermé dans un centre de rééducation, une ferme pénitencier pour un acte que je n’avais pas commis… Ce fut pour moi terrible, j’ai vécu un véritable enfer, j’avais pas plus de 13 ans ». Son regard se voile à nouveau, il est ailleurs et repense à tous ces épisodes qui ont jalonné son adolescence. Le serveur nous apporte nos plats, l’occasion idéale de changer le thème de notre entretien, nous parlons de la France, des solides amitiés qu’il a tissé de par chez nous. Je lui demande de me raconter sa rencontre avec l’harmoniciste Little Walter. Il éclate de rire : « je vais te dire une chose, j’étais alors mort de trouille ! Je savais la réputation qu’il avait dans les clubs et j’avais entendu tout un tas d’histoires sur son ombrageux caractère ! Quand j’étais plus jeune déjà grâce un ami qui était le cousin d’Elmore James j’ai vu le roi de la slide guitar ainsi que Muddy Waters,Big Bill Bronzy, cela te marque à jamais » L’atmosphère est maintenant nettement plus détendu, il continu : « je connaissais que trois ou quatre morceaux du répertoire de Little Walter, je n’en menais pas large. Il s’en aperçut sûrement mais fut au final dès plus charmant » Je l’interroge alors sur les multiples musiciens qui l’ont accompagne lorsque Willie décida de monter son propre groupe. « Je vais te dire, je veux vexer personne, mais de tous les musiciens qui ont fait partie des Gents, ma préférence va vers les guitaristes Johnny B Moore et le regretté Willie James Lyons. Le premier je le considère un petit peu comme mon fils, je l’ai vu grandir, s’épanouir et il a apporté beaucoup au groupe, Willie James lui était un très grand technicien à la guitare, et quelle voix il avait ! Il imposait le respect, son seul défaut c’était ses excès de boisson qui l’ont il faut bien le dire fortement diminué. Je peux t’assurer que sur scène ces 2 musiciens étaient touchés par la grâce » il marque un temps d’arrêt, esquisse un sourire : « Tous les deux, n’arrêtaient pas de se taquiner ou de se chamailler ! » Le repas touche à sa fin, Willie désire régler l’addition, avec Aikku nous insistons pour inviter notre prestigieux ami. « Aikku, me connaît bien » dit il « Quand j’ai dit je paye l’addition vous n’avez aucune chance ! » Nous le remercions chaleureusement et nous reprenons la direction de son véhicule. Nous passons l’après midi à flâner, navigant enter le Loop( centre ville de Chicago) et le south side. Willie nous fait écouter sur son auto radio quelques une de ses nouvelles compositions. La voiture s’arrête à proximité d’une échoppe qui ne paye pas de mine, nous sommes à présent non loin du club le Rosa’s. Nous suivons Willie qui a l’air de connaître le propriétaire et commence à discuter pour un éventuel showcase concernant ses nouveaux compacts. Le quartier et la boutique mériteraient au minimum quelques rénovations. Après que les 2 parties se soient mises d’accord, Willie déclare « Mon ami travaille pour une radio en France, montre lui ce que tu as d’intéressant dans tes cartons ! » Le boutiquier enchaîne aussitôt : « tout dépend ce qu’il cherche, de toute façon Willie ton fameux 33 tours sur le label Big Boy cela fait belle lurette que je ne l’ai plus ! » Les éclats de rires fusent ! « Ce n’est pas grave, je lui ai dédicacé cet album tout à l’heure dans la voiture ! Si tu y mets le prix on peut même te le vendre si tu es d’accord ! » Willie est impayable, le patron de la boutique sort alors quelques raretés notamment un bel album acoustique de Hip Linkchain et Jimmy Rogers intitulé Stickshift paru sur le label de Jeff Bandy, Teardrop Records au début des années 80. Willie s’arrête un long moment sur la couverture du disque et regarde ses anciens amis, l’émotion est palpable. Retour à la réalité des affaires, puisque Willie Kent était notre chevalier servant, le prix à payer pour les diverses raretés que contenait ce fameux carton fut dès plus symbolique à sa plus grande satisfaction, je ne sais alors plus qui remercier le propriétaire du magasin ou Willie !. Le temps passe plus vite que prévu, il est près de 18 heures. « Il fait que je retourne chez moi, ce soir vers les 20 heures je dois être au club le Blue Chicago pour y jouer, on se retrouve là bas si vous êtes d’accord, attendez moi à l’entrée, je gare ma voiture juste derrière le club, à ce soir, je compte sur vous…..»

L’ensemble de la planète Blues lui a rendu un hommage mérité, je garderai pour ma part gravé dans ma mémoire- comme d’ailleurs tous ceux qui l’ont approché- l’image d’un homme humble et discret, qui malgré les embûches de la vie, fit de son mieux pour nous faire partager et aimer sa musique terriblement envoûtante qui lui collait à la peau depuis sa plus tendre enfance.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Merci JL pour cet hommage.

22:32  
Anonymous Anonyme said...

belle rencontre jean luc et bien racontée. phil c

21:55  

Enregistrer un commentaire

<< Home